En général, on est encore sobre quand on entre dans un bar. On n’est pas censé avoir commencé la fête chez soi, tout seul – ou alors, on y reste et on laisse les autres tranquilles. Mais bon, je suppose que tu en as eu assez de te battre avec tes ratons-laveurs pour des bouteilles… Tout de même, il y a de quoi être fier : au lieu d’avoir choisi un des bars miteux de South Beach, te voilà du côté de Wynwood, déjà beaucoup plus classe. Y’a du progrès !
Par chance, l’alcool ne t’affecte pas tant que ça – tu ne titubes pas, tu marches bien droit, ton apparence est toujours aussi soignée qu’à l’accoutumée… Il faut vraiment te connaître pour comprendre que tu n’as plus toute la maîtrise de ton être. Tu parviens donc au Kitchen & Bar sans trop de souci. Là, tu balaies la salle du regard, et tu découvres avec déception que les seules demoiselles potables sont déjà accompagnées. Damn, voilà ce que ça fait d’arriver trop tard… Dépité, tu vas donc te consoler au bar – et là, tu n’as même pas le temps de grimper sur un tabouret que BIM, tu bouscules le gars d’à côté. Bien sûr, son verre se renverse. ‘Tain, il savait pas le tenir correctement ?
Tu pousses un long soupir las et fixes le mec d’un air absent. Il fait pareil. Bon, au moins vous vous entendez déjà sur un point. Ton regard se pose alors sur le verre renversé et la flaque que le barman s’affaire déjà à nettoyer, et un coin de ton esprit te fait remarquer qu’à South Beach, tu t’en serais déjà pris une pour si peu. Celui-ci avait la décence de ne pas s’en prendre à ton parfait petit visage, tu lui devais au moins ça… En plus, il était beau gosse.
« Sers-lui en un autre, je paie. »
Monsieur le richissime fils à papa peut bien se permettre un brin de générosité de temps en temps…
« Oh, et sers-moi un truc, aussi. »
Pas le courage de choisir, n’importe quoi ferait l’affaire. Gentleman bourré, tu sers un large sourire à ton compagnon de beuverie et lui tends une main amicale, histoire d’être sûr qu’il ne t’en veuille pas pour sa boisson.
« Sitaël. Tu viens souvent ici ? »
Très originale, la phrase d’accroche. Très originale…

Il te serre la main, il se présente, et ce sans aucune animosité. Pire, il te fait signe de boire avec lui, et c’est avec plaisir que tu obtempères. Le truc que le barman t’a servi est assez fort pour te brûler la gorge, mais dieu ce que ça fait du bien ! Peu connaisseur en matière d’alcool, le cerveau trop embrumé pour réfléchir, tu n’essaies même pas de reconnaître ce qu’il y a au fond de ton verre. On te droguerait que tu ne le soupçonnerais même pas…
« Disons que quand j’fais l’circuit des bars, ça m’arrive de m’arrêter ici… Mais c’est pas mon préféré. »
Tu n’articules plus vraiment, laissant les mots s’entrechoquer et les syllabes être toutes mâchouillées. Ta mère te tuerait pour ça. Des fois, elle te manque, ta mère. ‘Puis y’a ton père aussi, et le casino. Surtout le casino.
Le murmure de Cyrus te sort de ta mélancolie, et voilà que tu oublies tout de ta famille pour laisser un vil sourire en coin étirer tes lèvres. A ton tour, tu jettes un coup d’œil aux nanas occupées à glousser bêtement aux paroles sans doute ô combien intelligentes et drôles de leurs chanceux compagnons. Elles ont l’air tellement stupides, mais tellement bien foutues…
« Tu m’étonnes… »
Et tu laisses ton regard glisser sur la peau tannée de ton pote du soir. Ouais, les femmes, ouais…
« Les pauvres, t’as vu avec quoi elles sont coincées ? Elles doivent rager… »
Evidemment, tu juges les autres hommes comme de vulgaires paysans ne t’arrivant pas à la cheville. Pas un de ceux présents ici ne peut prétendre égaler ta beauté – sauf, peut-être, Cyrus lui-même. Il ne vous faudrait vraiment pas grand-chose pour parvenir à arracher ces demoiselles aux griffes de leurs prétendants. Mais bon, t’as trop la flemme de bouger ton derrière, alors tant pis. Et puis, elles ne t’intéressent pas tant que ça, y’a pas de quoi se battre pour elles…
« Elles pourraient jamais nous résister, à nous… »
Eh oui ! Au lieu de prendre ton éternel air supérieur, voilà que tu te mets à considérer Cyrus comme ton égal. Un beau gosse, sûrement très intelligent, adepte des bars et coureur de jupons... La soirée n'aura peut-être pas été si infructueuse, finalement.